Portrait d’une Légende — Puissantes, très variées, aux strophes assez brèves, toutes différentes les unes des autres et séparées par des pauses de même durée. L’harmonie parfaite. Des mélodies reconnaissables, en particulier à leurs crescendo flûtés et à des sons murmurants, parfois gloussants. Le chant du rossignol, dit-on, attire les belles nuits. « La Rossignole du Congo » ne chante pourtant pas avec sa voix. Certes. Elle écrit. Des larmes, bien souvent, découlant d’une existence aussi tumultueuse que merveilleuse, qui tient tant à ressembler à celle du pays qui l’a vue naître et prendre ses origines. D’une naissance anonyme à Coquilhatville, loin de son Kwilu, Marie-Eugénie Mpongo Lumakia a sillonné le Congo, embrassant son histoire, l’écrivant et en témoignant, devenant aujourd’hui l’icône d’un mouvement littéraire qui a porté haut les couleurs de la nation congolaise.
Fille de militaire
Le 27 novembre 1947, à Coquilhatville, en plein cœur de la région de l’Équateur, au nord-ouest du Congo belge, la fille de Matthieu Mungwangodi Katting naît de Pauline Magembi Luwelo, dans un camp militaire. Marie-Eugénie Mpongo Lumakia est la deuxième de ce couple catholique. Le père est l’un des vaillants soldats de la Force publique de l’administration coloniale. La mère est une ménagère qui a la complexe tâche de prendre soin de toute la famille, mariée à un homme qui passera souvent son temps loin de son foyer, à défendre son pays. Ce Caporal fraîchement sorti du Centre d’instruction (C.I.) Irebu, est intégré au deuxième bataillon Artillerie lourde (AL), le cœur de l’armée. Il était formé comme tireur du mortier 81, lanceur d’obus.
L’enfance de Marie-Eugénie Mpongo est particulièrement marquée par un événement qui a failli couté la vie à son père. En effet, en 1949, lors des grandes manœuvres militaires de fin d’année, son père est victime d’un accident tragique. Un canon explose et fait plusieurs blessés dont Matthieu Mungwangodi. Son casque en acier est perforé par un éclat qui se plante dans son crâne. Les blessés sont transportés à Bikoro pour des soins intensifs. « Par énergie du désespoir, ma mère suivit mon père à Bikoro, parcourant plus de 130 km à pied, avec son balluchon sur la tête et ses deux fillettes, dont l’une, âgée de quelques mois en bandoulière, et l’autre, moi, âgée de deux ans, juchée sur son dos. En plus, elle tenait fermement par la main l’aînée, alors agée de quatre ans. Aujourd’hui encore, je me demande comment elle a réussi cet exploit », révèle Marie-Eugénie Mpongo. [1]Interview de Marie-Eugénie Mpongo réalisée par Litsani Choukran en août 2021
À Bikoro, son père aura la vie sauve, non sans avoir subi une opération du crâne pour retirer l’éclat d’obus. Une opération « lourde et risquée » que ni son épouse ni ses enfants n’oublieront. « Dieu n’a pas permis que nous soyons orphelines si jeunes. Je lui rends vraiment toute la gloire. Cette tragédie, racontée plusieurs fois par maman, a bercé mon enfance. Elle m’a fait prendre conscience des risques et dangers du métier de mon père. Et elle m’a également donné un sens aigu de l’attachement à la famille », relate Marie-Eugénie.
Trois ans plus tard, en 1952, Matthieu Mungwangodi est muté à Léopoldville avec tout son bataillon, qui sera installé temporairement dans l’actuel camp Luano, du côté de Ngaliema (ouest de Kinshasa). Marie-Eugénie Mpongo bénéficie d’une formation de qualité, dans un pays où très peu d’enfants ont droit d’aller à l’école. Elle est inscrite à celle des Franciscaines de Kintambo, aujourd’hui lycée Bolingani. « C’est là que je fis ma première année et ma deuxième primaire », raconte Marie-Eugénie.
En novembre 1954, durant sa deuxième année, tout le bataillon Artillerie lourde de son père est déménagé pour être installé au camp Léopold II, actuellement Camp Lieutenant-Colonel Kokolo nouvellement construit. « Ce fut des paysans. Le matin, nous sommes allés normalement à l’école, quittant la maison du camp Loano. Mais au retour de l’école, nous avons été acheminées vers une autre maison dans un autre camp. Le plaisir de la nouveauté et l’insouciance enfantine ont pris vite le dessus et nous nous sommes bien adaptés », se rappelle Marie-Eugénie.
Le rossignol est un oiseau migrateur. Marie-Eugénie Mpongo va connaître la même vie de voyageur. Et en 1957, de nouveau, tout le bataillon de son père fut muté à Thysville, l’actuelle Mbanza-Ngungu, dans la province du Kongo central, où se trouve une des plus importantes garnisons de la Force publique. « Mais cette fois-ci, mon père et un groupe de militaires sélectionnés ont été détachés du deuxième bataillon artillerie lourde pour rejoindre le camp Sona Nkulu et former une nouvelle unité, la gendarmerie, chargée du maintien de la paix par le contrôle des émeutes et des insurrections », précise-t-elle. Le reste du bataillon regagna le camp Hardy, l’actuel camp Lieutenant-Colonel Ebeya, qui était alors une des plus grosses garnisons du Congo.
Fille de militaire, Marie-Eugénie bénéficie d’une attention particulière pour ses études. « Le camp Sona-Nkulu se trouvait éloigné du camp Hardy et, chaque matin, un véhicule militaire nous prenait pour nous conduire à l’école métropolitaine qui se trouvait près du camp Hardy. C’est là qu’étudiaient tous les enfants des militaires de Mbanza-Ngungu », raconte-t-elle. « Là, l’enseignement était entièrement en français. J’ai dû être rétrogradée en deuxième primaire et j’ai continué la scolarisation », ajoute-t-elle. La jeune fille se prend alors de passion pour la lecture, déclenchée par une attirance pour la bande dessinée.
« À la fin de l’année, j’ai terminé deuxième de la classe et j’ai reçu comme prix, un gros volume de bande dessinée intitulé Les 100 aventures de Mbumbulu. Cette bande dessinée était spécialement destinée à la jeunesse congolaise. C’est cela qui a suscité en moi la passion de la lecture et le goût des lettres. Je passais des soirées à lire et à raconter aux plus petits mes lectures. À défaut de livres, je dévorais tout ce qui me tombait sous la main. Des bouts de journaux, les documents militaires de mon père et même, à l’école, je prenais un grand plaisir à lire tout le manuel scolaire, d’avance. Les manuels d’histoire, de géographie, de français, des sciences naturelles, etc. », raconte Marie-Eugénie.
Son père est de nouveau muté. Cette fois à Madimba. « Pour continuer mes études, j’ai été mise à l’internat Mbanza-Boma. Et j’ai terminé mes études primaires là, sans trop de changement, parce que j’étais à l’abri de différentes mutations de mon père. »
Témoin de l’armée
Le 4 juillet 1960, alors que Patrice Émery Lumumba et les nationalistes viennent de triompher à la table ronde de Bruxelles et arrachent enfin l’indépendance, au Congo, les militaires basés à Thysville adressent une pétition à la nouvelle Chambre du parlement congolais contestant certaines injustices dans leurs rangs et demandant qu’un changement intervienne rapidement en leur faveur. Au camp Léopold II, à Léopoldville, la même démarche est amorcée par les soldats congolais. Dans une salle de cours, les sous-officiers congolais en formation accablent les instructeurs belges de leurs questions sur l’avenir réservé à la Force publique après l’indépendance et les acculent à y répondre.
Appelé en renfort, le général Émile Jansens, commandant en chef de la Force publique, sûr de sa domination, ignore la tension extrême présente dans la pièce ! Il tonne : « Pour la Force publique… » et il continue en écrivant au tableau noir: « Avant l’indépendance = après l’indépendance ». À cette action, il ajoute la décision de dégrader un soldat congolais, qui était sergent-comptable, parce qu’il avait incité ses collègues à contrer les cadres militaires racistes belges. [2] Armée nationale congolaise : an 1961, Service d’éducation de l’armée nationale congolaise, Léopoldville, 1961, 40 p.
Une mutinerie va alors gagner toutes les garnisons de la Force publique. Les mutins s’emparent des armes. De graves incidents sont aussi enregistrés dans les régions de Thysville, Kisantu, Madimba. Des rumeurs de viols perpétrés sur des femmes européennes par des émeutiers provoquent un exode massif des Européens. [3]Chronologie du Congo, Encyclopædia Universalis Le 7 juillet, le Premier ministre Patrice Émery Lumumba tient un discours sage et apaisant aux militaires réunis du camp Hardy et du camp Sonankulu. Il leur a octroyé un grade supérieur et leur a accordé le droit de désigner, par vote, des soldats aptes à exercer toutes les fonctions occupées par les officiers belges ! Le même jour, la Belgique fait intervenir son armée au Congo pour la protection de ses ressortissants, mais celle-ci vise en réalité la neutralisation de la Force publique et des rebelles.
Le 11 juillet, des navires de guerre belges accostent dans le port de Matadi. Alors qu’une trêve avait été signée la veille avec les mutins pour évacuer les femmes et les enfants, les troupes des forces navales belges, ne tenant pas compte de l’accord d’amitié et d’assistance technique et militaire conclu avec le Congo, ouvrent les feux meurtriers sur les populations congolaises.
« Tout le peloton des policiers (treize personnes) commis à la garde au port cette nuit-là résista jusqu’au sacrifice suprême ! Leur action héroïque n’a pas été vaine ! Honneur à ces héros oubliés ! En effet, leurs tirs alertèrent la puissante garnison du camp Redjaf, (aujourd’hui camp Major Vangu) qui riposta avec ses troupes et son artillerie lourde. Rapidement secourus par la force de frappe du camp Hardy (blindés, artillerie lourde, troupes équipées d’armes automatiques), ils vont couler le navire belge qui tentait de prendre la fuite, pas loin du port de Matadi. Thysville et Matadi constituaient deux grands centres de résistance de la Force publique. Ils devaient être matés ! », relate pour sa part Marie-Eugénie Mpongo.
Plus tard, quatre avions belges survolent la région, dont les villes de Matadi et Thysville, mitraillant ces villes. Au camp de Sonankulu, le père de Marie-Eugénie assiste aux premières heures d’une bataille absurde. « J’ai vu mon père prendre un canon antiaérien et tirer de toutes ses forces. Il criait et parlait : “Mon Dieu je n’ai pas envie de tuer, mais je veux protéger ma famille. Je ne veux pas que ma famille meure” », raconte Marie-Eugénie.
« Cette DCA (défense antiaérienne) était camouflée juste derrière notre maison, sous les grands eucalyptus ! Le danger d’une deuxième attaque d’avions était imminent », ajoute la dame. Le père fait monter sa famille dans une « Jeep » militaire conduite par son chauffeur, le sergent Mubake, en direction de la cité de Mbanza Ngungu. « Pendant que nous prenions la route, un autre avion qui se dirigeait vers le camp a commencé à nous tirer dessus, visiblement convaincu, en voyant la jeep, que nous étions des soldats. »
Sept enfants et leur mère sont débarqués du véhicule, obligés de se coucher le long d’une canalisation. « J’avais douze ans, je portais un sac contenant toutes les archives de la famille. Et j’ai encore les images… Mon père m’a dit : “Quoi qu’il arrive, protégez votre frère.” Nous étions six filles, âgées de quatorze ans à cinq mois, c’était le seul garçon de la famille, âgé alors de trois ans. Ma sœur aînée avait reçu de papa l’ordre de se coucher sur lui, pour protéger le petit de son corps ! Pendant ce temps, le chauffeur éloigna la jeep en trombe et se jeta dans la canalisation comme mon père, tirant sur l’avion avec détermination », raconte Marie-Eugénie. « Plus tard, nous apprendrons que l’avion en question s’est écrasé vers Kasangulu, touché par les balles tirées par mon père et son chauffeur », ajoute-t-elle.
Cet épisode marque Marie-Eugénie Mpongo à jamais. Trois ans après, alors qu’elle poursuit ses études au lycée du Sacré-Cœur (lycée Bosangani) à Kinshasa, elle décide d’extérioriser ces expériences et sa vie d’enfance mouvementée à travers l’écriture. Elle rédige des poèmes qu’elle garde bien souvent pour elle-même. Cependant, l’Église catholique, sous l’égide de l’archevêque de Kinshasa, Joseph-Albert Malula, crée l’hebdomadaire Afrique chrétienne. Dans ses colonnes, des jeunes Congolais, surtout des Congolaises, publient leurs premiers textes littéraires. Timide, Marie-Eugénie envoie un premier poème, mais qu’elle n’ose pas signer de son vrai nom. Elle signe « Rossignole bleue ». « J’aime l’oiseau » dit-elle. Quant à la couleur, « le bleu, c’était en référence au ciel congolais, qui est toujours bleu ».
La légende commence à naître et à se faire un nom. Les lecteurs apprécient le texte de la « Rossignole bleue ». Les retours qu’elle reçoit l’encouragent à poursuivre. « Ce poème était dédié à ma mère parce que, durant tout le temps où mon père partait en mission, c’est ma mère qui restait avec nous. Elle était une constance qui nous protégeait et nous rassurait », explique-t-elle. En 1967, la poétesse qui monte écrit « Chant de retour au pays » natal, qu’elle présente à un concours au Goethe-Institut Kinshasa (le centre culturel allemand). Elle y rafle le deuxième prix de poésie. Débute alors une légende. Motivée par ce prix, Marie-Eugénie Mpongo décide de porter sa plume dans une plaie beaucoup plus profonde, jusqu’à rédiger « Masikini », un poème qui relate le drame d’un jeune orphélin: Nanga.
Les drames vécus l’inspirent largement. Particulièrement ceux qui se passent au cœur des armées. La fille de militaire va puiser dans l’histoire de la rébellion Simba pour écrire l’une des plus importantes œuvres de sa vie. En effet, depuis Kisangani, dans l’est du territoire national, un soulèvement éclate en 1961 et durera jusqu’en 1964, secouant le Congo du nord au sud. Mené par Antoine Gizenga et Pierre Mulele, il fait des ravages.
Des milliers de réfugiés s’échappent des zones de combats. Certains arrivent en masse à Kinshasa. [4]The Anchor Atlas of World History, vol. 2, New York, Garden City, 1978, 268 p. L’école de Marie-Eugénie, comme plusieurs structures catholiques à travers le pays, accueille ces réfugiés. Et elle est aux premières loges du spectacle des atrocités qui vont l’interpeller. Une séquence qui va particulièrement marquer l’auteure. « Une mère de cinq enfants, jeune métisse, a été obligée de s’arrêter, en pleine fuite sous les tirs et malgré le fait qu’elle avait elle-même ses cinq enfants à sauver, pour ramasser un petit bébé enseveli dans la bandoulière, sous sa mère, alors que cette dernière venait de tomber sous les balles ! Cette rébellion m’a profondément marquée… Oh ! femmes de mon peuple, humbles et héroïques ! »
La naissance d’une poétesse
Nanga », ou ennanga, ou encore nenanga, est un type de harpe arquée jouée par le peuple Ganda en Ouganda. La caisse de résonance est constituée d’une seule pièce de bois et à peu près hémisphérique. Le haut de la boîte est une membrane résonnante étirée en peau d’antilope, attachée à un morceau de peau au fond de la boîte. Le col y est fixé à l’intérieur, sort par une petite ouverture ronde sur la membrane et se courbe vers le haut sur environ 60 à 70 cm. Sept ou huit cordes sont liées à un bout de bois à l’intérieur de la boîte et s’étendent à travers la peau jusqu’à des chevilles insérées le long du manche. Parfois, de petits cliquetis métalliques sont attachés à ces dernières pour colorer le son. Il est généralement utilisé pour accompagner le chant des hommes. [5]. hisholm, Hugh, éd. (1911). « Nanga ». Encyclopédie Britannica. 19 (11e éd.). Des affres de cette guerre de rébellion, Marie-Eugénie Mpongo choisit le nom de cet instrument comme titre d’un poème émouvant, en la mémoire des victimes et des survivants.
En 1969, alors qu’elle est en deuxième année de philologie romane à la faculté de philosophie et lettres à l’Université Lovanium, elle présente « Nanga » au concours littéraire organisé par le président Mobutu, à l’occasion de la visite de Léopold Sédar Senghor dans le pays. Sa candidature est une franche réussite et n’aura d’égale que celle de Clémentine Faïk Nzuji. Les deux sont donc primées ex æquo en poésie. Et ce prix lui ouvre les portes du succès. Il y eut des lauréats pour les différents domaines des lettres : théâtre, conte, roman, essai, nouvelle et poésie. Au cours d’une séance solennelle, le 7 avril 1969, à l’Université Lovanium, les résultats du concours littéraire furent proclamés.
Clémentine Faïk-Nzuji, Marie-Eugénie Mpongo et leurs compagnons de gloire reçurent les diplômes d’honneur des mains du Président Senghor, en présence de son homologue Mobutu Sese Seko, du Premier ministre Justin-Marie Bomboko, du ministre de la Culture et des Arts Paul Mushiete, des autorités académiques et d’autres dignitaires politiques. Le lendemain, le 8 avril 1969, une réception fut organisée au Mont Ngaliema par le Président Mobutu qui les décora personnellement de la médaille d’argent de Mérite des Arts et des Lettres. Les autres lauréats (classés deuxièmes et troisièmes) reçurent la médaille de bronze. Succéda un dîner de gala présidé par Mobutu Sese Seko, lui-même. Le jeudi 10 avril, les vainqueurs s’envolèrent vers Dakar pour quinze jours, invités d’honneur du Président Senghor. Marie-Eugénie Mpongo vécut également une page rose en cette période faste. Elle se maria le 12 avril, avant de suivre ses amis à Dakar, accompagnée de son époux, faveur spéciale du Président Mobutu ! « Un voyage haut en couleur, comblé d’honneurs et riche en souvenirs ! » se rappelle-t-elle.
De Kinshasa à Dakar, Marie-Eugénie contemple pour la première fois le fruit de ses écrits. « Nous avons reçu les félicitations du Président Mobutu en personne. On nous a décorés de la médaille d’argent de Mérite des Arts et des Lettres. On nous a fait ds grands honneurs. Le Président Senghor à son tour nous a invités chez lui (au Sénégal) pendant deux semaines », raconte Mme Mpongo. Marie-Eugénie s’envole vers la France en octobre 1969 et s’inscrit à l’Université Paris III, pour suivre des cours de linguistique africaine. Découle toute une vie au service des lettres congolaises. Elle étudie particulièrement les langues locales. « J’étais révoltée de voir des enseignants belges nous enseigner nos langues locales, alors qu’ils ne les connaissaient même pas et les enseignaient très mal », explique-t-elle.
La « Rossignole bleue » tiendra longtemps sa plume. Trempée dans un passé au cœur des opérations militaires en RDC, une histoire jonchée de rébellions et de catastrophes, l’écrivaine qu’elle est devenue extériorise ces expériences inouïes. Elle militera pour les femmes et les hommes en armes. « Le métier des armes est aujourd’hui négligé, décrié et même condamné », ne cesse-t-elle de clamer.
Marie-Eugénie Mpongo regagne le pays dans les années 1970. Elle est désormais mère de famille, mais s’implique toujours dans la cause de la femme congolaise. Fille et mère de militaires, elle s’est sans cesse investie pour la valorisation du travail des hommes en armes. Mais l’auteure continue d’écrire et d’affiner sa plume, même en entrant dans la vie active. Elle revient constamment sur son Congo natal. Et, parfois, elle rend hommage à d’autres icônes africaines, à l’image de son poème sur Nelson Mandela, appelant à sa libération. Patrice Émery Lumumba est également exalté par Marie-Eugénie Mpongo. « Fleuve » est une œuvre inédite en cours de rédaction. « Je continue d’écrire, je dédie ce poème non pas au fleuve Congo, mais au fleuve de larmes des femmes congolaises qui a coulé et qui continue de couler. Je leur rends hommage ».
Légende de Congo au Féminin
Au fil des années, Marie-Eugénie Mpongo s’oriente dans la vie active et s’ancre définitivement sur le toit des lettres congolaises. Le 4 mai 2021, Marie-Eugénie Mpongo reçoit la visite surprise de la Première dame de la RDC, Denise Tshisekedi. Face à la poétesse très émue, l’épouse du président congolais sort un Diplôme de Mérite et le lui confie. Denise Nyakeru Tshisekedi est venue remettre en personne le prix « Congo au Féminin » à Marie-Eugénie Mpongo, dans le cadre d’un programme qui fait de cette dernière l’une des femmes qui ont marqué l’histoire de la RDC.
La plume de Marie-Eugénie Mpongo est une fois de plus honorée et reconnue par l’État. La Première dame, à travers son programme « Congo au Féminin », vise à diriger les projecteurs sur ces femmes exceptionnelles qui ont écrit le Congo, dans un pays où le combat pour la parité est engagé fermement. « Marie-Eugénie Mpongo, comme Marie-Antoinette Mobutu, Abeti Masikini et tant d’autres, symbolise désormais cette quête d’émancipation des femmes qui ont défié les stéréotypes pour se lever haut », explique Denise Tshisekedi. « Congo au Féminin » leur remet un diplôme, mais veut surtout qu’elles continuent de briller et de servir de modèle. « Car, poursuit la Première dame, plus que jamais, les nouvelles générations du Congo ont besoin de s’inspirer de ces légendes pour parachever la lutte pour l’égalité des droits. »
À sa manière, Marie-Eugénie Mpongo a marqué l’histoire de ce pays qui se confond avec son propre parcours. Au plus haut de son art, la poétesse a vu une de ses œuvres être introduite dans l’enseignement congolais, notamment pour les élèves de 5e des Humanités. Une reconnaissance immense pour elle qui a fréquemment souffert, à l’image de la littérature congolaise, d’un défaut d’appuis. « J’ai beaucoup écrit. Mais il m’a souvent manqué de soutien. Beaucoup de mes œuvres n’ont pas été publiées. Aujourd’hui, je me bats pour que nous ayons des structures d’édition capables d’aider nos talents à s’exprimer », dit-elle à la Première dame.
La poétesse regrette par ailleurs que les auteurs congolais ne figurent pas au programme officiel de l’enseignement de RDC, au détriment d’écrivains d’autres cieux. À Denise Tshisekedi, elle lance un vibrant appel à soutenir l’art littéraire congolais et les auteures congolaises. « Nous nous devons de donner l’exemple aux futures générations en mettant en exergue celles qui se sont démarquées dans ce pays. Mettre en valeur les réalisations de nos propres auteurs encouragera les futures générations à suivre ce métier noble », insiste-t-elle.
Avec une vie bien accomplie, Marie-Eugénie Mpongo continue de militer pour les lettres congolaises. Elle a soutenu l’initiative de Madame Yolande Elebe ma Ndebo de lancer l’association « Femmes de lettres congolaises », présentée officiellement dans la salle » Showbuzz » sous le haut patronage de la Première dame, en appelant non seulement à l’introduction plus importante dans la programmation scolaire des femmes de lettres congolaises, mais également en aidant ces dernières à éditer leurs œuvres et à les vulgariser, et en organisant par exemple des salons pour les femmes aspirant au monde du livre. « L’ONGD/ASBL Femmes de lettres congolaises peut accomplir toute autre action se rattachant de manière directe ou indirecte, en tout ou en partie, à ses objectifs ou pouvant en apporter le développement ou en faciliter la réalisation. », conclut-elle.
Marie-Eugénie Mpongo est fière de son parcours, pensant à la rèlève qui arrive et pour laquelle elle reste confiante. « J’ai eu la joie et le privilège, en 2012, de conseiller et d’encourager la plume hésitante d’une jeune poétesse congolaise », révèle-t-elle. Elle fait sans doute allusion à la jeune Do Nsoseme. « Ses écrits étaient percutants, sans perdre la fraîcheur et la transparence de la jeunesse.Encouragée, elle s’est lancée dans les récitals rythmés de ses poèmes et des œuvres d’autres auteurs« , explique-t-elle. Aujourd’hui encore, la slameuse Do Nsoseme brille comme une étoile lumineuse dans le ciel des Lettres Congolaises.
References
↑1 | Interview de Marie-Eugénie Mpongo réalisée par Litsani Choukran en août 2021 |
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↑2 | Armée nationale congolaise : an 1961, Service d’éducation de l’armée nationale congolaise, Léopoldville, 1961, 40 p. |
↑3 | Chronologie du Congo, Encyclopædia Universalis |
↑4 | The Anchor Atlas of World History, vol. 2, New York, Garden City, 1978, 268 p. |
↑5 | . hisholm, Hugh, éd. (1911). « Nanga ». Encyclopédie Britannica. 19 (11e éd.). |