La dame de Remous de feuilles
Élisabeth Mweya Tol’Ande
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Portrait d’une Légende — Née d’une brave femme, à la fois ordinaire et au grand coeur, comme toutes ces femmes du Congo, d’hier et d’aujourd’hui, qui ont payé et payent de leur vie pour que vivent leurs familles. Femme au destin énigmatique, Élisabeth Mweya Tol’Ande s’est élevée haut, au cœur d’une révolution des lettres en République démocratique du Congo, et incarne à ce jour à ce jour un modèle du Congo au féminin. 

La fille de « Ngamalo »

Ngamalo », la femme de la cité des blancs. Une femme sublimée dans une œuvre littéraire. Elle appartenait à l’un des plus anciens et prestigieux clans d’adroits chasseurs qui excellaient également dans le « Mbaka« , l’art d’animer la palabre, d’étaler la sagesse ancestrale, de converser avec les esprits et au sein desquels la chefferie revenait à la mère, à la femme. Les oncles maternels étaient appelés « mamans » et portaient le motako, l’anneau symbole de la chefferie. L’histoire d’Élisabeth Mweya Tol’Ande, poétesse, commence par celle d’une autre femme, aussi énigmatique que courageuse, dont le récit prend berceau au beau milieu d’une colonisation brutale, dans l’actuelle province du Kwilu.

 Née en 1914, Géorgine Kandunda vit paisiblement dans le village de Mbanza Mumbat où la sécurité était assurée par les esprits et la mère Nature, prospère, nourrissant la communauté, satisfaite de l’abondance et de la diversité du gibier, de poissons, de chenilles, de champignons, de la variété de tubercules de manioc et d’igname, avant de voir le colonisateur belge débarquer. À cette époque, il enrôlait des jeunes gens afin de pourvoir en hommes sa célèbre Force publique. 

Élisatbeth Tol'ande à 21 ans à Kinshasa. PH. BCCE/ Heyce. DR.
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À la mort de son premier mari, ma mère a été victime de harcèlement tant de la part de certains soldats, collègues du défunt, que des blancs qui commandaient dans la caserne. Elle est rentrée les mains vides à son village Mbanza Mumbata, mais fière d’avoir bravé et vaincu les tracasseries de ces soldats et de n’avoir pas profané la mémoire de son défunt mari »,
— Élisabeth Mweya Tol‘Ande

Mangela Élisabeth, la « Nfumu Nketo », établie cheffe locale par l’administration coloniale sur un ensemble de villages formant un groupement, qui exerçait ses prérogatives aussi bien sur les hommes que sur les femmes, identifie les cibles au profit des recruteurs belges. « Ngamalo », personnage incarnant la future mère d’Élisabeth Mweya Tol’Ande, voit son époux tomber dans les filets. Michel Mikoti est ainsi envoyé au camp militaire d’instruction de Lisala, où il intègre l’armée. « Forcée d’accompagner son mari, recrue de la Force publique, ma mère a donc suivi son mari », raconte Élisabeth Mweya Tol’Ande.

En plein cœur de l’actuelle province de l’Équateur, Géorgine Kandunda, son époux et leurs deux garçons ont vécu dans une caserne de Lisala Ngomba quelques années jusqu’à la mort de son mari. « À la mort de son premier mari, ma mère a été victime de harcèlement tant de la part de certains soldats, collègues du défunt, que des blancs qui commandaient dans la caserne. Elle est rentrée les mains vides à son village Mbanza Mumbata, mais fière d’avoir bravé et vaincu les tracasseries de ces soldats et de n’avoir pas profané la mémoire de son défunt mari », raconte Élisabeth Mweya Tol’Ande. Elle poursuit : « Ma mère y est surnommée Ngamalo, la femme de la cité des blancs, pour avoir été la première à avoir quitté sa contrée et résidé dans ces endroits ! Avec feu son mari soldat puis à Léopoldville avec son second mari, mon père ». 

« Ngamalo » quitte ensuite son village pour venir assister sa sœur à Masimanimba, un carrefour au bord de la nationale numéro 1, qui relie alors le Kwilu au reste de la civilisation. Son destin bascule quand elle croise un jeune homme, Momona Mbayasie, futur père d’Élisabeth Mweya Tol’Ande. Le couple se marie rapidement et migre finalement à Léopoldville pour « y chercher la vie ». Élisabeth Mweya Tol’Ande est née en 1947, sur l’avenue Ngele, dans la commune de Saint-Jean, l’actuelle Lingwala, au milieu d’une cour familiale tendue. Un grand frère, Jean Mikoti et une grande sœur, Marie-Colette Kwenakwey l’ont accueillie à sa venue au monde. À son tour, elle a fait de même pour Henriette Mopia et Jacques Tambu, ses cadets.

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Notre maison était un foyer souvent en feu. Il y avait des tiraillements tout le temps. L’oncle de papa alimentait le feu et mon père, le pauvre, était sous l’emprise de son oncle.
— Élisabeth Mweya Tol‘Ande

Son père et sa mère, originaires du Kwilu, atterrissent dans la maison d’un oncle paternel qui ne veut pas du mariage de son neveu avec « Ngamalo ». Car, si les deux conjoints sont tous deux issus de la même province, ils sont de tribus différentes, les tensions vont envahir le quotidien du couple et la vie de leurs enfants et en particulier d’Élisabeth, très sensible. « Notre maison était un foyer souvent en feu. Il y avait des tiraillements tout le temps. L’oncle de papa alimentait le feu et mon père, le pauvre, était sous l’emprise de son oncle », raconte Élisabeth Mweya Tol’Ande.

L’Ecole et la Vocation sauvent Élisabeth

Élisabeth Tol'ande est admise au couvent à Kinshasa. PH. DR.
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Avant d’aller à l’école, on devait me donner de l’argent. À l’époque, il fallait que mon père me donne quelques pièces de monnaie pour que j’accepte finalement de me rendre à l’école. Et même si je m’y rendais, ma mère devait m’y accompagner et attendre dehors jusqu’à la fin des cours.
— Élisabeth Mweya Tol‘Ande

La vie d’Élisabeth, dictée par cet environnement difficile et par le combat farouche pour échapper à la médiocrité, est un « Remous de feuilles ». Elle commence les études, inscrite à l’école primaire Christ-Roi, dans la commune de Dendale, l’actuelle Kasavubu. La future écrivaine n’est pourtant pas « groupie » des études à ses débuts. « Avant d’aller à l’école, on devait me donner de l’argent. À l’époque, il fallait que mon père me donne quelques pièces de monnaie pour que j’accepte finalement de me rendre à l’école. Et même si je m’y rendais, ma mère devait m’y accompagner et attendre dehors jusqu’à la fin des cours ». Ces débuts laborieux sont amplifiés par les mutations de son père à l’intérieur du pays. Mécanicien aux travaux publics, Momona Mbayasie part à Kenge, puis à Kasongo-Lunda, avec toute sa famille. Élisabeth Mweya Tol’Ande s’y perd. Tantôt dans une école qui enseigne en dialecte du terroir, tantôt dans celle qui confie des corvées aux élèves, la coupe des fagots de bois et de paille dans la brousse. La fillette, qui a visiblement le don de l’esprit, n’est pas intéressée par les efforts physiques.

Il faudra attendre 1956 pour la voir regagner la capitale Léopoldville. Cette fois, c’est la bonne. Élisabeth MweyaTol’Ande est inscrite à l’école Saint-Pie X dans la commune de Ngiri-Ngiri, proche du domicile familial, à l’âge de onze ans. Ce retard ne surprend pas à cette époque au Congo où très peu attachent de l’importance à la scolarité de leurs enfants, surtout de sexe féminin. Il était courant de retrouver en première année de primaire, des enfants de dix ans et davantage. Assise au fond de la classe, espace réservé aux élèves de grande taille, sur le banc à l’arrière, à l’un des deux bouts, avec deux autres camarades, Élisabeth, attentive aux dires et gestes de maître Raymond, son instituteur, s’applique comme pour rattraper le temps perdu dont elle a conscience. Elle découvre finalement les charmes de l’écriture et de la lecture.

Le contact s’est fait avec la touche et l’ardoise, avant le cahier et le « bic ». « Le contact avec l’ardoise et la touche a tout déclenché en moi. Je gribouillais. Je comprenais ce que j’étais en train d’écrire, mais personne n’arrivait à lire mes gribouillis. Je parvenais à lire ce que je couchais sur papier ; mais tout le monde avait de la peine à déchiffrer mes récits d’enfant en forme d’arabesques. Donc, il y avait en moi une écriture innée bien que sans forme qui a pu mûrir avec le temps », explique la poétesse du « Remous de Feuilles. »

Élisabeth va devoir également faire face à une réalité sociale, la sienne, celle de l’espace Kongo dont elle est issue. Si l’école s’ouvre à elle comme la possibilité de devenir un jour pilote, dans ces années-là. Voilà une ambition saugrenue pour une fille de son âge tant de par sa condition modeste et l’esprit traditionaliste dans lequel elle se débattait, que par le contexte de l’époque où d’ailleurs les femmes appartenant aux milieux aisés fréquentaient plutôt les foyers sociaux où elles apprenaient à tricoter, à broder et à préparer les petits plats européens. « Cette poussée intérieure qui m’intimait d’aller loin et de monter très haut ressemblait à une quête de l’absolu tellement elle semblait démesurée au regard de la réalité vécue, celle d’une enfant pauvre, perdue au fin fond d’une périphérie. Ça, c’était le regard des autres ; moi, pourtant, je tenais à mon rêve comme la seule possibilité qui s’offrait dans mon imagination et donc, dans mon être intérieur. Pour moi, c’était le seul moyen d’évoluer haut, très haut, sans risquer de retomber dans la médiocrité, sous la gouvernance des oncles maternels arrogants et impertinents qui se comportaient comme de dignes représentants de la coutume au nom de laquelle ils pouvaient décider qui devait se marier et avec qui et quand et qui pouvaient aussi décréter qui devait mourir et qui devait vivre. Mon ambition folle m’avait protégée contre le glissement vers le mariage précoce qui était alors courant », confie Élisabeth en affirmant avec un grand rire que  « les rêves et les ambitions, il en faut pour faire des pas de géant ! »

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Pour moi, c'était le seul moyen d’évoluer haut, très haut, sans risquer de retomber dans la médiocrité, sous la gouvernance des oncles maternels arrogants et impertinents qui se comportaient comme de dignes représentants de la coutume au nom de laquelle ils pouvaient décider qui devait se marier et avec qui et quand et qui pouvaient aussi décréter qui devait mourir et qui devait vivre. Mon ambition folle m’avait protégée contre le glissement vers le mariage précoce qui était alors courant
— Élisabeth Mweya Tol‘Ande

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De la plume qu’elle tient désormais, elle laisse s’enfuir toute sa douleur d’enfant timide, renfermée sur elle-même et incapable d’expliquer ni de comprendre les problèmes qui ont des conséquences sur sa vie. « C’était devenu comme un univers à moi. Après l’école, une fois à la maison, je continuais d’écrire et de dessiner. Ça me permettait d’échapper à toutes les tensions du quotidien qui m’entouraient. »

À l’école, les sœurs de la Congrégation des Sœurs du Cœur Immaculé de Marie ont identifié en elle la vocation religieuse. Elle ignorait même ce que c’était. Peut-être était-ce pour sa douceur, son calme ? Elle n’était pas une fille extravertie. « Ce qui est vrai, c’est qu’une aspiration à l’absolu m’a inondée  de mon enfance à l’âge de la puberté. Je me surprenais souvent en train d’essuyer une larme qui perlait sur ma joue, une petite larme chaude qui me faisait sourire et parfois pleurer de joie parce que, sans le savoir, mon besoin avait trouvé une réponse, l’amour de Dieu commençait à remplir mon cœur, à combler le grand vide d’amour », confie Élisabeth, pensive, en se replongeant dans ce passé lointain.

Cette réponse s’est concrétisée à travers l’intérêt qu’ont commencé à lui témoigner les nonnes et les pères de Scheut qui supervisaient l’école des garçons. Ils la visitaient à domicile, lui disaient qu’elle était appelée à devenir une religieuse et pour cela, elle irait vivre dans un couvent et ne se marierait jamais. « À moi, cela me convenait parfaitement d’autant plus que dans mon mental, la perspective de mariage était associée aux initiatives qu’avaient prises mes oncles maternels. Cependant, il a fallu convaincre ma mère que Dieu pouvait imprimer une orientation exceptionnelle pour certaines personnes, en dehors du mariage et de la procréation. Elle a mis du temps pour accepter cette idée et admettre que sa fille ne devrait pas, jamais, se marier parce que Dieu l’avait choisie à son service ».  

Les religieux ont ensuite dirigé la jeune Élisabeth vers une rencontre qui allait bouleverser sa vie. « Lorsque j’ai été présentée au cardinal Joseph Albert Malula, archevêque de Kinshasa, le fondateur de la Congrégation des Filles de Sainte-Thérèse de l’Enfant Jésus de Kinshasa, il m’a adoptée d’emblée, ayant vu à travers mes yeux riants, une prédisposition à servir Dieu », explique la dame de 74 ans qu’est devenue Élisabeth, qui a du mal à cacher une grande émotion.  Au couvent, elle continue à cultiver sa passion pour l’écriture et les lettres et s’émerveille de ce que la spiritualité à laquelle elle s’initie s’harmonise avec l’inspiration que lui apporte sa muse. « Heureusement pour moi, je suis entrée au couvent en 1964. J’y ai eu droit à une éducation raffinée dont s’occupaient des demoiselles espagnoles consacrées, les femmes les plus propres, les plus ordonnées, les plus féminines », reconnaît Élisabeth.

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Mon ambition folle m’avait protégée contre le glissement vers le mariage précoce qui était alors courant.

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— Élisabeth Mweya Tol‘Ande

La jeune dame fait la connaissance de l’art. Il lui est loisible d’apprendre le piano ou l’orgue, de jouer à la guitare si elle le veut, de danser aussi, bien souvent le twist entre postulantes. Élisabeth découvre la musique classique, les valses viennoises, qui réveillent plus profondément en elle les fibres souterraines de l’écriture, du poème qui se libère si fantastiquement ! Assises en cercle, les futures religieuses doivent écouter Beethoven, Mozart, Haendel, Chopin, etc., sans broncher. Leurs encadreuses espagnoles veillent à ce qu’elles profitent bien de ces moments. Elles n’aiment pas cette musique. On ne leur demande pas de l’aimer, mais de l’écouter. « Et à force d’avoir écouté avec concentration cette musique, la vie contemplative et l’inspiration littéraire s’en sont nourries. L’écriture devient une rampe qui vous fait monter jusqu’au septième ciel et vous fait goûter le bonheur et l’extase. Parvenu à cette dimension, l’écrivain ne manipule plus l’écriture, mais l’écriture coule d’elle-même. »

Le cardinal Joseph Albert Malula, son formateur en tant que fondateur du couvent, lui sert de catalyseur pour l’éclosion de son talent littéraire qui en est encore aux balbutiements. À la fois « directeur spirituel et conseiller littéraire », le prélat prend très au sérieux tant la vocation religieuse que littéraire d’Élisabeth. La jeune fille est mise en avant lors des événements. « Chaque fois qu’il y avait un événement, c’est moi qui faisais le récital. »

À sa demande, Élisabeth Mweya a bénéficié des recommandations du Révérend Père Blafart, jésuite et professeur de littérature au collège Albert 1er, actuel Boboto, pour l’épanouissement de son don.  Le père Blafart accepte donc d’assumer la charge de mentor qui lui est confiée. « Au moins deux fois par semaine, il arrivait en moto le soir, peu avant les travaux de ménage qui précédaient le souper de 19 heures. Mademoiselle Marie-Paule Villanueva, la directrice du couvent ou ses adjointes, Maria Pilar, Conchitta, etc., m’appelaient pour aller le rejoindre dans un coin de la cour intérieure ou vers le fond de la cour extérieure. Il me saluait en inclinant la tête, révérence à une future femme de lettres, ou à une porteuse d’un don auquel “Monseigneur” tenait tant. Il m’écoutait déclamer devant lui mes nouveaux poèmes et récits. Il emportait mes brouillons, les lisait, revenait le jour suivant ou le surlendemain avec non pas des remarques, mais des encouragements qui comprenaient aussi des corrections et, avant de partir, me remettait un livre à lire, question de m’imprégner de l’art d’écrire des auteurs de renom. »

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Heureusement pour moi, je suis entrée au couvent en 1964. J’y ai eu droit à une éducation raffinée dont s’occupaient des demoiselles espagnoles consacrées, les femmes les plus propres, les plus ordonnées, les plus féminines.
— Élisabeth Mweya Tol‘Ande

Élisabeth reconnaît le privilège dont elle a bénéficié à travers l’encadrement d’un prêtre jésuite, professeur de littérature et de surcroît, dans l’une des meilleures écoles de la RDC. L’institut Sainte-Thérèse de Lisieux (l’actuel Lycée Kabambare) où elle étudie et l’institut Sainte-Germaine devenu Ntinu Wene de Limeté où elle achève sa 6e année littéraire offrent une excellente prise en charge par des enseignants compétents. Les cours de latin, de philosophie en plus de la littérature ainsi que la bibliothèque très riche de l’établissement, ont donné un précieux background à la passion de la lecture et de l’écriture. 

Pendant les rares congés passés en famille, le père d’Élisabeth tient à ce que sa fille continue à maintenir plus ou moins le même régime. Il lui impose deux exercices : une sieste après le repas, exactement comme au couvent, la lecture ou l’écriture après un bon bain. « Les visites étaient permises uniquement pour les amis et amies qui lisaient ou écrivaient avec moi. Papa passait de temps à autre près de là, faisant semblant de passer tout simplement. Mais je savais bien qu’il s’assurait que tout était dans l’ordre voulu », explique Élisabeth.

Le rôle joué dans le parcours de l’écrivaine Élisabeth Mweya Tol’Ande par l’hebdomadaire catholique Afrique chrétienne doit être mentionné. Cet hebdomadaire était distribué à travers toute l’étendue de la République aux écoles et autres institutions. Dès la troisième année littéraire déjà, Élisabeth Mweya Tol’Ande y publie des petits poèmes et récits et s’occupe de la rubrique « Betty et ses amis », du diminutif de son prénom, qui font le tour du Congo et créent l’attraction. « Des correspondants jeunes de tous les coins et recoins de la République m’écrivaient après avoir lu mes écrits. Leurs lettres inondaient la table de travail de la directrice du couvent. Celle-ci les lisait toutes avant de m’en faire part. Cela m’a motivée. » 

La plume, l’autre vocation

Une copie de la page tenue par Élisabeth Tol'ande dans le journal Afrique chrétienne. PH. DR.

L’ambition ne consiste pas à être connu, mais à s’exprimer et à s’affirmer en étant apprécié en tant que poète, auteur et, d’après Élisabeth Mweya, on ne faisait pas cas de sexe ni de genre mais du talent qui n’en a pas, mais qui reflète les influences que nous subissons. Elle est surnommée « Senghorine » au couvent, parce qu’elle est largement inspirée par les écrits de l’un des poètes de la négritude, Léopold Sedar Senghor. « Cette influence a transparu dans mon style au début, en particulier dans le poème « Incantation », oeuvre qui m’a valu, en 1967, de recevoir le 10e prix de poésie Sébastien Ngonso, mon tout premier prix, un trophée pour une débutante qui entrait timidement dans la sphère des poètes et écrivains émergents après les Lomami Tshibamba et Antoine Roger Bolamba. J’ai jalousement conservé durant plus d’un demi-siècle l’exemplaire qui me fut remis, du recueil publié en 1968, par Publication Extension universitaire, Lovanium, préfacé par André Drossart. »

Il sied de noter qu’Élisabeth Mweya Tol’Ande, par ce premier prix, fait alors partie de la deuxième vague des poètes et écrivains apparus sur la scène littéraire dans les dernières années de la décennie 1960 et qui ont inauguré celle de 1970. Par ailleurs, le concours littéraire Président J.D.Mobutu en 1970 scelle le nom d’Élisabeth Mweya Tol’Ande, première lauréate en poésie, parmi la deuxième génération de la littérature congolaise. « La médaille de bronze de Mérite des Arts, Sciences et Lettres, qui m’a été offerte en 1976, m’a rendue davantage consciente que la poésie était plus qu’une passion, mais une responsabilité à bien porter dans le monde de la pensée, une possibilité d’influencer les autres, pourquoi pas le monde ? »

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La médaille de bronze de Mérite des Arts, Sciences et Lettres qui m’a été offerte en 1976, m’a rendue davantage consciente que la poésie était plus qu’une passion, mais une responsabilité à bien porter dans le monde de la pensée, une possibilité d’influencer les autres, pourquoi pas le monde.
— Élisabeth Mweya Tol‘Ande

Primée, motivée, Élisabeth continue sa lancée dans le monde littéraire et sa préparation à la consécration religieuse. Mais elle n’est plus du tout une petite fille. L’adolescence et ses crises se pointent et font basculer son destin. Parmi le flot des lettres reçues de ses sympathisants à travers l’hebdomadaire Afrique chrétienne, celle d’un jeune homme attire particulièrement son attention. Elle entre en correspondance avec lui, mais cette décision l’entraîne dans une idylle qui la trouble et dont elle parle à son mentor, le Révérend Père Blafart. 

La nouvelle parvient au cardinal Malula qui constate une crise d’adolescence, au risque de compromettre la consécration à laquelle Élisabeth est appelée. Il lui accorde alors de se retirer à Manreza, « pour prier et demander à Dieu sa volonté. »  Cette retraite a inspiré de beaux poèmes qui feront partie de tout un ensemble d’autres empreints de la lutte intérieure qu’elle mène durant cette période et qui a donné lieu au recueil Remous de feuilles, paru aux Éditions du Mont Noir, en 1974, primé par le concours littéraire Joseph-Désiré Mobutu.

La plume, l’autre vocation

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Ma vocation n’a pas pu résister à un simple coup de foudre à travers un contact épistolaire et un baiser volé ! Mais ce premier amour qui a coûté le sacrifice de ma vocation religieuse n’a pu aboutir
— Élisabeth Mweya Tol‘Ande
— Élisabeth Mweya Tol‘Ande

L’idylle avec le correspondant devenant une passion amoureuse, Élisabeth décide de se retirer du couvent, incapable de mener cette double vie. « Ma vocation n’a pas pu résister à un simple coup de foudre à travers un contact épistolaire et un baiser volé ! Mais ce premier amour qui a coûté le sacrifice de ma vocation religieuse n’a pu aboutir. » En effet, trois mois seulement après la sortie du couvent, l’étudiant de l’université Lovanium est tombé le 4 juin 1969 sur la place de la Victoire, sous des balles réelles tirées à bout portant par des militaires du président Mobutu. 

Au cours de cette même année, Élisabeth Mweya Tol’Ande est admise en philologie romane, à la faculté des Lettres de l’Université Lovanium. Elle se lie d’amitié avec les poètes et professeurs Clémentine Faïk-Nzuji Madiya et son frère Dieudonné Mukala Kadima Nzuji, ainsi que leur sœur Caroline Nzuji Baleka Bamba, conteuse. « Cette amitié a été florissante pour moi et réciproquement. Clémentine, fondatrice de la Pléiade du Congo qui engendra “Balise” fut la plaque tournante des rencontres entre écrivains poètes universitaires qui se ressourçaient mutuellement. »   

Malheureusement, en 1971, lors de l’enrôlement forcé dans l’armée des étudiants de cette université, Élisabeth est enceinte. Elle se retrouve à la maternité à la naissance de son premier enfant et est exemptée de ce fameux enrôlement à la suite duquel l’Université Lovanium a été dissoute et remplacée par l’Université nationale du Zaïre, l’UNAZA. « Ma faculté des Lettres ayant été transférée à Lubumbashi, je me suis inscrite à l’Institut des sciences et techniques de l’information (ISTI) et, contre mauvaise fortune, bon cœur, j’y ai fait un beau parcours (1973-1979), puisque retenue assistante pour les cours de déontologie et méthodologie de la presse écrite et du magazine ; et d’ailleurs l’ISTI m’a permis d’approfondir mon domaine de prédilection, le journalisme, dans lequel déjà j’évoluais depuis Afrique chrétienne ensuite au quotidien Salongo sans pour autant empiéter sur mes heures de prestation à l’ISTI. » 

Élisabeth a également assuré la présentation du magazine télévisé « F… comme Femme » que réalisait Mayemba Mansiangi à la Radio-télévision scolaire (Ratelesco), de 1980 à 1984. Elle a même dû accepter un poste de consultante à temps partiel pour un programme de production de supports audiovisuels pour un projet de l’Association allemande pour l’éducation des adultes (DVV). Mariée, mère de sept enfants, elle ne connaît pas la quiétude et les joies d’une vie conjugale harmonieuse. Subissant les violences physiques et morales de la part de son époux, elle décide de rompre et d’affronter seule les aspérités de la vie. 

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J’ai souffert de sa part de privations de ressources, de violences corporelles et morales allant jusqu’à la destruction de mes manuscrits. Dieu seul sait combien d’œuvres perdues ainsi !
— Élisabeth Mweya Tol‘Ande

Cependant, quatre décennies vécues comme parent unique lui ont permis de tirer des leçons de modestie qu’elle partage avec des femmes plus jeunes : « Certes, les violons ne se sont pas toujours accordés au foyer. J’ai souffert de sa part de privations de ressources, de violences corporelles et morales allant jusqu’à la destruction de mes manuscrits. Dieu seul sait combien d’œuvres perdues ainsi ! Mais à présent, en regardant tout cela avec le rétroviseur de la vie, je m’explique pourquoi tout cela est arrivé. 

Lorsque je me suis mariée, j’avais déjà une certaine renommée et ne voulais pas faire les concessions qu’exigeait mon nouveau statut. Il est possible que mon ex-mari se soit senti psychologiquement menacé ou qu’il ait été un traditionaliste sous le manteau d’un intellectuel. Mais il est vrai aussi que, moi, j’ai manqué de diplomatie et d’esprit de conciliation entre mes objectifs professionnels (le journalisme), la littérature, mon violon d’Ingres et mes obligations d’épouse et de mère que je n’ai sans doute pas remplies à sa satisfaction. Je pense que lui aussi a souffert de mon intransigeance. »

Femme seule, avec sept enfants à charge, au milieu des années 1980, Élisabeth Mweya Tol’Ande fait désormais face à des difficultés financières. Elle est forcée d’interrompre son cursus scientifique alors qu’elle est parvenue au grade d’assistante de 2e mandat pour s’engager en 1985 dans un poste de formatrice du monde rural au sein de l’Institut africain pour le développement économique et social (INADES-FORMATION), pour l’animation des sessions de formation à l’autopromotion rurale, l’accompagnement des paysans et paysannes et la production des supports pédagogiques et d’un bulletin consacré à la vulgarisation de savoirs et savoir-faire paysans en combinaison avec des techniques agropastorales améliorées et modernes.

Élisabeth Tol'ande assiste des femmes en milieu rural. PH. DR.
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Si l’écriture est ma première vocation, l’assistance des femmes de périphérie et du milieu rural est ma deuxième vocation.
— Élisabeth Mweya Tol‘Ande

« Non seulement j’ai été contrainte de lâcher complètement l’assistanat qui m’aurait permis de prétendre au professorat, je n’ai plus eu le temps de pratiquer le journalisme. Des regrets se sont mis à creuser des sillons dans mon cœur : je n’ai donc pas pu poursuivre mes études en philologie romane et ne suis donc pas devenue la professeure de littérature que j’avais rêvée d’être. Mais, je n’ai pas non plus fait long feu dans la recherche scientifique à l’ISTI qui aurait pu me permettre de rejoindre mon rêve de professorat ! »  

La mort dans l’âme, Élisabeth a opté pour la formation du monde rural. Mais elle se reprend aussitôt, car, écrit-elle :  «  J’ai ceci de particulier en moi, je m’engage à fond dans ce que j’entreprends. De 1985 à 1992, je suis devenue une vraie formatrice du monde rural, animatrice des sessions de formation (autopromotion, dynamique communautaire et gestion des exploitations agricoles) pour des groupements d’agriculteurs et les populations rurales et des visites-conseils de leurs activités. J’ai même excellé dans la production des supports audiovisuels et fus même membre du conseil d’administration tant de Inades-formation Congo que membre de l’Association internationale Inades-formation (1986-2002) ».

Si elle est parvenue à vaincre ce nouvel épisode sombre de sa vie, cette opportunité l’oriente cependant vers une carrière loin des lettres, au cœur du combat pour l’autonomisation de la femme congolaise. Son travail de formatrice du monde rural lui a permis de voir et d’analyser la pauvreté multiforme de la femme rurale et des milieux périurbains. Elle se lance donc dans l’animation à l’autopromotion tant de la femme urbaine que rurale. Elle déclare : « Si l’écriture est ma première vocation, l’assistance des femmes de périphérie et du milieu rural est ma deuxième vocation. Je m’y suis lancée en créant un trait d’union entre femmes, une ONG de développement dénommée Développement Information Recherche Action Femme et Famille (DIRAF) qui comprend une école privée de la maternelle, primaire aux humanités, un programme d’animation urbaine des femmes et jeunes filles dans une optique du genre ». 

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Je sens que je vais prendre ma retraite, je dois me donner moi-même ma retraite, me réfugier dans une activité agropastorale, écrire et publier pour la postérité nationale
— Élisabeth Mweya Tol‘Ande

Élisabeth Mweya Tol’Ande porte plusieurs casquettes ! Elle est aussi experte au secrétariat exécutif du Comité de suivi de la réforme de la police (CSRP). Elle assure qu’elle a dû démissionner de l’Inades-Formation en 1992 pour se consacrer à son DIRAF, de 1993 à 2008, à temps plein. Mais depuis 2008, elle s’implique dans la réforme de la police, bénéficie de renforcements de capacités dans le domaine de la réforme du secteur de sécurité (RSS) en tant que membre du noyau de douze acteurs de la société civile formés par IDASA (Institute for Democracy in South Africa) avec l’appui financier de DFID. Ces acteurs ont participé à la conception de la vision consensuelle de la réforme de la police en RDC. Elle fait partie des experts du secrétariat exécutif du CSRP depuis 2008 et tour à tour, coordonnatrice de groupes de travail information et communication, suivi-évaluation et enfin, chargée de programmes et de relations avec les partenaires.  « Toutes ces casquettes d’experte acquises au long de ma vie sont mises au service de la nation », déclare Élisabeth, triomphante et en riant, enchaînant : « Je sens que je vais prendre ma retraite, je dois me donner moi-même ma retraite, me réfugier dans une activité agropastorale, écrire et publier pour la postérité nationale ».

Mère et plusieurs fois grand-mère, c’est au cœur d’une vie de battante accomplie que madame Élisabeth Mweya Tol’Ande, que beaucoup appellent affectueusement « Mama Betty », voit la reconnaissance toquer à sa porte. 

Légende de Congo au Féminin

Le 5 mai 2021, elle fond en larmes dans les bras d’une autre grande dame. Élisabeth Mweya Tol’Ande accueille la Première dame de la République démocratique du Congo, entourée de toute sa famille, à son domicile du quartier Kimbangu, dans la commune de Kalamu, ville de Kinshasa. Un domicile envahi. Ce jour mémorable, après des décennies à avoir tronqué ses ambitions de femme de lettres pour se consacrer à la survie et à l’éducation de ses enfants en tant que parent seul, après s’être impliquée auprès de la femme périurbaine et rurale pour son autopromotion, la fille de « Ngamalo » est primée parmi les « femmes qui ont marqué l’histoire de la RDC ». 

Héroïne du Congo. Héroïne face à l’adversité, Élisabeth Mweya Tol’Ande a écrit le Congo au féminin. Un arbre a été secoué, mais il n’y a eu que le « Remous de feuilles », une femme qui ne s’est jamais couchée. La Très Distinguée Première dame Denise Tshisekedi est émue au moment de lui remettre un diplôme marqué de son effigie. La consécration d’une vie remplie. Sans s’arrêter, toujours aussi forte que fougueuse, Mme Élisabeth Mweya Tol’Ande, reconnaissante du réconfort de l’épouse du Président de la République, ne cesse de rendre grâce à Dieu, poursuit son chemin en apportant sa petite pierre à l’édification d’une nouvelle RDC. Son histoire, qui continue d’être écrite, sera désormais inscrite en lettres d’or dans les annales du Congo. À cette conclusion, Élisabeth crie haut et fort : « Amen ! que Dieu bénisse et fortifie la Première dame Denise Nyakeru Tshisekedi ! » 

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